Zohran Mamdani et changement d'ambiance pour la gauche américaine
La soirée électorale pour les primaires démocrates à l'élection municipales mardi dernier, m'a fait penser à ma dernière soirée électorale, en novembre, que j'ai passé avec Zohran Mamdani lui-même.
Mardi dernier, le candidat socialiste Zohran Mamdani a gagné les primaires démocrates pour l’élection municipale de New York. Sauf surprise majeure, cela veut dire qu’il sera le prochain maire de New York. Sa victoire représente aussi un vote décisif contre l’establishment traditionnel centriste démocrate, renié dans les urnes par la plus grande ville du pays,
Mais sa campagne, et le mouvement qui a porté Zohran Mamdani vers la victoire, a aussi vu quelque chose de rare en ce moment dans la politique américaine : une bonne ambiance, et de l’espoir.
Je suis peut-être une des personnes qui peut le mieux témoigner de cela.
Depuis quelques semaines déjà, une des plus grands flexs que j’ai auprès de mes amis, tous Zohran-pilled, est que j’ai passé une soirée avec Zohran. Mardi dernier, lors d’une soirée électorale, les souvenirs de cette rencontre avec celui qui a fini la nuit futur maire de New York sont remontés à la surface. Ils m’ont même poussé à aller chercher le carnet de notes que j’ai utilisé ce soir-là.
J’ai rencontré Zohran le 4 novembre 2024, le soir de l’élection présidentielle. J’ai couvert l’événement pour L’Humanité et je me suis donc retrouvé à la soirée électorale du mouvement des Democratic Socialists of America (DSA) au bar Katch Astoria, dans le Queens.
Quand je suis arrivée au Katch Astoria, l’atmosphère était étrange. D’abord, le bar n’était qu’à moitié plein. Les occupants, la majorité des membres du DSA, étaient regroupés sur un petit nombre de tables, fixant déjà les télés éparpillées un peu dans le bar et regardant Steve Kornacki s’échauffe.
Il y avait plusieurs types de personnes présentes ce soir-là. Mario s’était levé avant l’aube deux samedi matin d'affilée en octobre pour participer à une journée de porte-à-porte en Pennsylvanie pour la campagne de Kamala Harris. Christina avait écrit Jill Stein sur son bulletin de vote.
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Personne n’était particulièrement enthousiastes pour Kamala Harris, mais tous avaient peur de Trump.
Zohran Mamdani était l’un des derniers à arriver au Katch. Il s’est assis sur une des banquettes, à côté de la membre du DSA qui gère les réseaux sociaux du mouvement pour la branche du Queens. Je l’ai salué et on me l’a présenté comme le candidat du DSA pour la mairie de New York, un titre qui l’a fait lâcher un petit rire presque timide.
Je pense lui avoir demandé comment il se sentait, même si j’ai posé la question tellement de fois cette nuit-là que je ne suis plus sûre de sa réponse exacte. Si je devais deviner, je pencherais pour anxieux, ou un synonyme, comme tout le monde ce soir-là.
Il a commencé à discuter avec ceux déjà présents, à la table, donnant périodiquement des coups de tête nerveux vers l’un des écrans, un tic qui semblait contagieux ce soir-là.
La soirée s’est bien sûr empiré, et l’atmosphère a vite tourné d’étrange à juste mauvaise. Un des adhérents enchaînait les clopes devant le bar, et m’a avoué, après avoir allumé sa troisième cigarette en ce qui devait être à peine une demi-heure : “De base, j’avais arrêté.”
La plupart des personnes n’ont même pas attendu que la Pennsylvanie tombe pour partir. Quand elle a été donnée pour Trump, le petit groupe encore présent a commencé à se préparer à partir. C’est à ce moment que je me souviens avoir vraiment parlé avec Zohran, comme mes notes le montrent. J’ai demandé aux adhérents du DSA quel était le plan, maintenant que Trump allait revenir.
Beaucoup étaient dans le DSA depuis au moins le premier mandat de Trump, donc ils avaient déjà une idée de la marche à suivre. Zohran, qui lui-même s’est rapproché du DSA en 2017, m’a dit : “Demain, des milliers de New Yorkais vont se réveiller avec le sentiment d’avoir été abandonnés. Mais nous pouvons être là pour nous et nous devons l’être. Je pense que nous allons nous recentrer sur nos communautés et voir comment nous pouvons les aider.”
J’avais un live pour une radio suisse à 2h du matin, et un autre pour 3h, et il était déjà passé minuit, et je n’habite pas dans le Queens. Je savais donc que maintenant que j’avais les dernières impressions de la soirée, j’avais intérêt à me dépêcher si je voulais être à mon appartement à temps.
J’ai dit à Zohran que j’adorerais parler plus avec lui de sa campagne pour la mairie de New York et je lui ai donné ma carte professionnelle avec mon adresse mail et mon numéro de téléphone et il l’a prise. Dans ma hâte, et dans ce qui est probablement une des pires erreurs de ma carrière (pour l’instant !), je ne lui ai pas demandé pour sa carte ou un moyen de le contacter et j’ai rapidement quitté le bar.
M. Mamdani si vous me lisez… j’attends toujours.
Mais je ne raconte pas seulement cela parce que je peux me targuer d’avoir rencontré Zohran. Je veux surtout ici contraster cette soirée, misérable, avec une ambiance comparable à une veillée funéraire, avec la soirée électorale organisée par le DSA dans un bar de Tribeca (les soirées du Queens, de Brooklyn et de l’East Village se sont remplies trop vite…) que j’ai passé mardi. J’y suis allée avec des amis volontaires lors de la campagne et non pas en tant que journaliste.
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Premièrement, le bar était plein. Plus de la moitié du bar était habillé en t-shirt bleu vif et jaune “Zohran for NYC” ou portait un bandana ou même un pins aux couleurs de la campagne. Et tout le monde était si enthousiaste pour le programme de Zohran. Il y avait bien du mépris pour son adversaire, l’ancien gouverneur et le prédateur sexuel Andrew Cuomo, mais il était clair que ce n’était pas le moteur de la campagne. Tous avaient vraiment connecté avec le programme de Zohran pour une ville moins chère, avec des bus gratuits et des loyers gelés. A une promesse de ville meilleure.
Et tous semblaient penser que Zohran était honnête et qu’au moins il essayera, qu’il se battra pour tenir ses promesses. La seule appréhension présente était que l’establishment démocrate ne resserre une nouvelle fois les rangs et arrive à faire élire Andrew Cuomo.
Quand les premières estimations donnant Zohran en tête de l’élection, qui se tenait par vote préférentiel sont tombées, le bar a explosé. Je pense sincèrement que la dernière que j’ai vu une foule aussi contente était dans un bar de Lille lors de la finale de la coupe du monde de 2018.
Après le discours de concession d’Andrew Cuomo, Liz, l’une des amies avec qui j’étais venue, m’a dit “J’avais oublié. J’avais oublié que des bonnes choses pouvaient arriver.”
La soirée était ponctuée d’embrassades et de high fives entre des inconnus, des chants de “When we fight, we win !” (Quand on se bat, on gagne), d’une standing ovation pour Brad Lander, l’actuel contrôleur de gestion et un autre candidat qui a appelé ses électeurs à mettre Zohran au second rang, et une longue salve de railleries quand la télé montrait les volontaires au quartier général d’Andrew Cuomo lentement baissé la bannière “Cuomo for mayor”.
Contrairement à novembre dernier, le moment de la soirée qui m’a fait le plus peur n’était pas les résultats mais quand Liz a décidé que deux apérols spritz et une victoire électorale étaient de bonnes raisons d’envoyer un message à son ex.
Le parti démocrate devrait embrasser ce genre d’énergie. Celle de la campagne de Zohran, Pas celle de Liz. Le contraste était flagrant bien avant que la victoire de Zohran soit annoncée. La campagne de Zohran a réussi à faire ce que peu de campagnes démocrates arrivent en ce moment : rendre les gens réellement investis et passionnés pour un candidat, au lieu de les forcer à voter pour la personne sur le bulletin de vote sous peine de voir quelqu’un capable de commencer une guerre nucléaire.
E si vous voulez en savoir un peu plus sur ce que l’élection de Zohran Mamdani peut vouloir dire sur le parti démocrate, je vous conseille la newsletter de Tristan Cabello, The Hype, qui couvre beaucoup le sujet.